Mais quel est ce jeune homme que je vois environné d'une foule empressée ? Comme la joie se peint dans tous ses mouvements ! comme son front est brillant ! que lui est-il arrivé d'heureux ? d'où vient-il ? – Il vient d'être initié, me répondit gravement mon guide. [...] Nous observons de fort près le goût, le caractère, les actions les plus secrètes d'un jeune homme. Dès qu'on s'aperçoit qu'il cherche les endroits solitaires pour y réfléchir ; dès qu'on le surprend l'œil attendri, attaché sur la voûte du
firmament2, [...] ; alors il n'y a plus de temps à perdre, c'est un signe que sa raison a toute sa maturité et qu'elle peut recevoir avec fruit le développement des merveilles que le Créateur a opérées.
Nous choisissons une nuit où, dans un ciel serein, l'armée des étoiles brille dans tout son éclat. Accompagné de ses parents et de ses amis, le jeune homme est conduit à notre observatoire : tout à coup nous appliquons à son œil un télescope ; nous faisons descendre sous ses yeux Mars, Saturne, Jupiter, tous ces grands corps flottants avec ordre dans l'espace ; nous lui ouvrons, pour ainsi dire, l'abîme de l'infini. Tous ces soleils allumés viennent en foule se presser sous son regard étonné. Alors un pasteur
vénérable3 lui dit d'une voix imposante et majestueuse : « Jeune homme ! voilà le Dieu de l'univers qui se révèle à vous au milieu de ses ouvrages. Adorez le Dieu de ces mondes, ce Dieu dont le pouvoir étendu surpasse et la portée de la vue de l'homme et celle même de son imagination. [...] »
Alors la scène change : on apporte un microscope ; on lui découvre un nouvel univers, plus étonnant, plus merveilleux encore que le premier. Ces points vivants que son œil aperçoit pour la première fois, qui se
meuvent4 dans leur inconcevable petitesse, et qui sont doués des mêmes organes appartenant aux colosses de la terre, lui présentent un nouvel attribut de l'intelligence du Créateur.
Le pasteur reprend du même ton : « Êtres faibles que nous sommes, placés entre deux infinis, opprimés de tout côté sous le poids de la grandeur divine, adorons en silence la même main qui alluma tant de soleils, imprima la vie et le sentiment à des atomes imperceptibles ! Sans doute, l'œil qui a composé la structure délicate du cœur, des nerfs, des fibres du
ciron5, lira sans peine dans les derniers replis de notre cœur. Quelle pensée intime peut se dérober à ce regard absolu devant lequel la voie lactée ne paraît pas plus que la trompe de la
mite6 ? Rendons toutes nos pensées dignes du Dieu qui les voit naître et qui les observe. [...] »
Le jeune homme ému, étonné, conserve la double impression qu'il a reçue presque au même instant : il pleure de joie, il ne peut
rassasier7 son ardente curiosité ; elle s'enflâme à chaque pas qu'il fait dans ces deux univers. Ses paroles ne sont plus qu'un long cantique d'admiration. Son cœur palpite de surprise et de respect ; et dans ces instants sentez-vous avec quelle énergie, avec quelle vérité il adore l'Être des êtres ? Comme il se remplit de sa présence ! Comme ce télescope étend, agrandit ses idées, les rend dignes d'un habitant de cet étonnant univers ! Il guérit de l'ambition terrestre et des petites haines qu'elle enfante ; il chérit tous les hommes animés du soufle égal de la vie ; il est le frère de tout ce que le Créateur a touché.
Louis-Sébastien Marcier
L'An 2440 : rêve s'il en fut jamais, extrait du chapitre XXI : « Communion des deux Infinis », 1770.