Qu'est‑ce que la religion ? Pour répondre à cette question,
Émile Durkheim s'efforce de caractériser le phénomène
religieux en progressant d'une définition commune à une
définition sociologique. En effet, une bonne définition
doit établir le caractère spécifique, c'est‑à‑dire propre,
à l'objet défini.
Émile Durkheim déclare tout d'abord que la religion est
une croyance, mais ne s'y attarde pas. Puis, il formule
un constat selon lequel les croyances religieuses sont
collectives. C'est la nature collective ou sociale de toute
croyance religieuse qui est le caractère spécifique ultime
que recherche l'auteur.
Or cela peut surprendre pour plusieurs raisons.
Premièrement, on pourrait penser que la croyance religieuse
est avant tout une affaire privée, dépendant du
consentement de l'individu. Il faudrait dès lors s'intéresser
aux motifs variables qu'a l'individu de croire. Et
pourtant, l'auteur insiste sur le caractère collectif des
croyances religieuses, en tant qu'elles sont consubstantielles
aux groupes sociaux comme tels.
Deuxièmement, on pourrait également penser qu'une
croyance religieuse se caractérise spécifiquement par
son contenu, lequel concernerait la distinction du sacré
et du profane. Mais justement, l'auteur dit implicitement
que la distinction du sacré et du profane est une affaire
publique, c'est‑à‑dire relevant de la collectivité. Il y a
donc une origine sociale des croyances religieuses.
Durkheim ne fait pas ici seulement référence à la religion
chrétienne et à son institution, l'Église, mais il prend le
terme au sens large et conformément à son étymologie
grecque ekklesia, qui désigne une assemblée. C'est
pourquoi « Église » pourrait être le nom convenable et
spécifique pour désigner un groupe social partageant les
mêmes croyances religieuses, quelle que soit par ailleurs
sa taille.
A la fin du premier chapitre du livre, Émile Durkheim
donne la célèbre définition de la religion : « Nous arrivons
donc à la définition suivante : une religion est un
système solidaire de croyances et de pratiques relatives
à des choses sacrées, c'est‑à‑dire séparées, interdites,
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté
morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. »
Le second élément qui prend ainsi place dans notre définition
n'est pas moins essentiel que le premier, car en
montrant que l'idée de religion est inséparable de l'idée
d'Église, il fait pressentir que la religion doit être une
chose éminemment collective.
Durkheim donne une définition sociologique de la religion.
Fondateur de la sociologie, il s'agit pour lui d'étudier
les « faits sociaux comme des choses ». Ainsi, il déclare :
« entre Dieu et la Société, il faut choisir. Ce choix me
laisse assez indifférent, car je ne vois dans la divinité
que la société transfigurée et pensée symboliquement. »
De plus, il souhaite insister sur la dimension « coercitive » de la religion, laquelle dicte des règles de vie aux
croyants : « La violation des interdits religieux passe
souvent pour déterminer mécaniquement des désordres
matériels dont le coupable est censé pâtir et qui sont
considérés comme une sanction de son acte. Mais, alors
même qu'elle se produit réellement, cette sanction
spontanée et automatique ne reste pas la seule ; elle
est toujours complétée par une autre qui suppose une
intervention humaine. Ou bien une peine proprement dite
s'y surajoute, quand elle ne l'anticipe pas, et cette peine
est délibérément infligée par les hommes ; ou, tout au
moins, il y a blâme, réprobation publique. Alors même
que le sacrilège a été comme puni par la maladie ou
la mort naturelle de son auteur, il est, de plus, flétri ; il
offense l'opinion qui réagit contre lui ; il met celui qui l'a
commis en état de faute ». Ces règles qui prescrivent ou
interdisent certaines actions constituent donc la morale
propre à une religion.