Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l'homme fait la religion,
la religion ne fait pas l'homme. La religion est en réalité la conscience de soi et le
sentiment de soi de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est de
nouveau perdu. Mais l'homme n'est pas un être abstrait, accroupi hors du monde.
L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent
la religion, une conscience inversée du monde, parce qu'ils sont un monde
inversé. La religion est la théorie générale de ce monde, […] son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. C'est la
réalisation imaginaire de l'essence humaine, parce que l'essence humaine n'a pas de
réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par cette médiation la lutte
contre ce monde, dont la religion est l'arôme spirituel.
La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre
part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature
opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de
choses sans esprit. Elle est l'opium du peuple.
Karl Marx
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843,
trad. J. Molitor, © Éditions Allia, 1998.