Le travail est un enjeu individuel, social et politique fondamental. Il façonne notre identité – généralement, nous nous définissons par notre profession – et détermine notre place dans la société. Il nous permet d'acquérir des compétences et de nous perfectionner. Toutefois, sa pénibilité ne représente-t-elle pas une violence ? Le travail fait-il de nous des hommes ?
Réflexion 1
Le travail fait-il la valeur de l'homme ?
Le travail est-il aliénant ?
Le travail n'est-il pas avant tout une dévalorisation et une dépossession de soi ? Par le travail, l'être humain s'aliène et, paradoxalement, peut s'appauvrir intellectuellement et physiquement. Lorsque le travail est répétitif, il ne permet plus de s'accomplir dans la mesure où il prive l'individu de l'objet qu'il a produit. Il en va ainsi du travailleur dans le système productif capitaliste décrit par Marx.
Quel perfectionnement de soi le travail permet-il ?
Cette aliénation par le travail est-elle inévitable ? À quelles conditions un travail peut-il permettre de s'accomplir et de se perfectionner ? Le travail ne serait pas seulement synonyme de dépossession mais donnerait sa valeur à l'homme : en développant ses facultés, en maîtrisant un geste ou un savoir-faire, le travail permettrait de donner un sens à sa vie – sens à comprendre à la fois comme une direction et une signification. Simone de Beauvoir reconnaît ainsi que le travail met l'homme face à son pouvoir. Cependant, cette fierté n'est-elle pas confisquée par le genre masculin ?
Réflexion 2
Perd-on sa vie en travaillant ?
Tout travail est-il exploitation ?
Le travail permet-il de produire des richesses et de la valeur ou bien n'est-il au fond que la reconduction permanente de rapports d'exploitation ? Locke y voit la seule manière légitime d'acquérir la propriété, et Crawford en fait l'occasion de gagner en compétences et en estime de soi. Au-delà du travail nécessaire, ne faut-il pas, avec Russell, voir dans l'oisiveté l'occasion de produire des vertus morales et sociales ?
Que gagne-t-on à travailler ?
C'est parce que l'être humain travaille et qu'il transforme la nature autour de lui qu'il peut dire qu'une chose
lui appartient. De ce point de vue, la propriété est la récompense de son travail. Cependant, cela suppose que l'organisation du travail ne soit pas précisément mise en place pour voler une partie du temps de travail. Or, le vol du surtravail est au coeur du mode de production capitaliste critiqué par Marx. Le travailleur fonde alors la propriété de celui qui l'exploite.
Réflexion 3
Le travail : nécessité ou libération ?
L'homme peut-il se passer de travailler ?
Certes, l'homme est condamné à travailler puisqu'il doit satisfaire ses besoins. Le travail apparaît alors comme une souffrance qui s'abat sur l'homme. Faut-il diminuer le temps de travail ou faut-il avant tout changer l'organisation du travail ? Simone Weil le suggère, elle qui a voulu éprouver dans sa chair le travail harassant pour en penser le dépassement.
Le travail n'est-il qu'une contrainte ?
Dans la mesure où il implique une peine à laquelle nous devons nous résoudre, dans tout travail il y a un élément de contrainte. Cependant, n'est-ce pas là qu'un aspect, partiel, du travail ? Ce dernier ne permet-il pas aussi de conquérir la liberté et le bonheur, pour peu qu'on laisse le travailleur cultiver « son propre champ » selon les termes d'Alain ?
Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, 1958
Karl Marx, Le capital, 1867-1894
Karl Marx, Salaire, prix et plus-value, 1865
Bertrand Russell, Éloge de l'oisiveté, 1935
Pour aller plus loin
À voir
David Gelb, Jiro Dreams
of Sushi, 2012
Ce documentaire suit le travail
de Jiro, un cuisinier japonais de
93 ans, dont le restaurant ne sert
que des sushis. Précision du geste,
patience et créativité du cuisinier
sont autant de compétences
valorisées dans son travail. Cette
recherche de la perfection donne
de la valeur à cet homme. Le sushi est source de satisfaction :
objet quasiment précieux, esthétique, et en un sens, unique.
Pierre Carles, Attention danger
travail, 2003
Ce documentaire donne à voir
les mutations du management et
nous livre le témoignage de ceux
qui refusent le travail, s'opposant
à la « valeur travail ».
Le zoom est accessible dans la version Premium.
Crédits : CP Productions/TCD/DR
Gérard Mordillat et Bertrand Rothé, Travail, salaire, profit, 2019
Cette série documentaire présente
une série d'entretiens avec
21 chercheurs du monde entier
qui interrogent les nouvelles
réalités du travail contemporain.
Le zoom est accessible dans la version Premium.
Crédits : Arte
À lire
Dominique Méda, Le Travail : une valeur en voie
de disparition, 1995
Dominique Méda pose la question de l'avenir de la « valeur
travail » : comment les hommes et les femmes peuvent-ils
penser le travail dans ses dimensions d'accomplissement
personnel et de production de richesses économiques ?
David Graeber, Bullshit jobs, 2018
L'auteur identifie l'ordre économique et la mutation
technologique du travail comme coresponsables d'une
transformation des métiers en bullshit jobs. Il décrit ces
activités infimes, répétitives, insensées et supervisées par
une hiérarchie aussi multipliée qu'invisible.
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Humanités, littérature et philosophie
L'humain et ses limites