Hors de la société civile chacun jouit d'une liberté très entière, mais qui est
infructueuse, parce que comme elle donne le privilège de faire tout ce que bon
nous semble, aussi elle laisse aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce
qu'il leur plaît. Mais dans le gouvernement d'un État bien établi, chaque particulier
ne se réserve qu'autant de liberté qu'il lui en faut pour vivre commodément, et
en une parfaite tranquillité, comme on n'en ôte aux autres que ce dont ils seraient
à craindre. Hors de la société, chacun a tellement droit sur toutes choses, qu'il ne
peut s'en prévaloir et n'a la possession d'aucune ; mais dans la républiquea, chacun
jouit paisiblement de son droit particulier.
 Hors de la société civile, ce n'est qu'un continuel brigandage et on est exposé
à la violence de tous ceux qui voudront nous ôter les biens et la vie ; mais dans
l'État, cette puissance n'appartient qu'à lui seul. Hors du commerce des hommes,
nous n'avons que nos propres forces qui nous servent de protection, mais dans
une ville, nous recevons le secours de tous nos concitoyens. Hors de la société,
l'adresse et l'industrie sont de nul fruit : mais dans un État, rien ne manque à
ceux qui s'évertuent1 .