Vous avez dit « instinct » ?
De manière traditionnelle, on désigne par le terme d’instinct
un comportement inné, régulier, qui ne nécessite aucune
transmission ni aucune réflexion pour être mis en œuvre.
L’homme se considérant comme l’être pensant, il renvoie
l’instinct à l’animalité. Il aura fallu à Freud de nombreuses
années pour faire admettre que nous avons encore en nous
des traces d’instinct animal sous une forme pulsionnelle.
Pourtant, cette grande frontière entre l’homme et l’animal
est contestée par la psychologie évolutionniste.
Pour les psychologues évolutionnistes comme Leda Cosmides
ou Steven Pinker, c’est presque l’intégralité de nos
comportements humains, sociaux, et culturels qui trouverait
sa racine dans nos instincts primitifs. Ces instincts suivraient
la loi des trois F (Food, Fight, Fornication) : nourriture, violence
et sexualité. Dans la théorie évolutionniste, l’esprit
humain n’est pas vierge à la naissance, il comporte des
structures instinctuelles, tout comme le cerveau de l’animal.
La pression culturelle éducative modifierait les comportements
issus de ces instincts, sans atteindre leur force
essentielle. Il s’agit donc de penser une coévolution entre
l’instinct et la culture humaine, et non un triomphe de
l’un sur l’autre. Ainsi, lorsque nous parlons, lorsque nous
avons recours à la violence, lorsque nous pratiquons un
jugement ou une activité esthétiques, nous le ferions par
instinct et culture.
On comprend alors que la technique, comme d’autres
comportements, est totalement instinctuelle dans sa
source, et modifiée par des siècles d’évolution dans ses
méthodes. Il n’y a plus rien d’étonnant, alors, à poser
une parenté technicienne entre l’homme et l’animal, sur
les plans pratique et psychique. C’est d’ailleurs ce que
déclare le sociologue J.-F. Dortier dans l’introduction de
son ouvrage L’homme, cet étrange animal :
« On sait aussi que les chimpanzés ou les dauphins et
d’autres espèces possèdent des formes de conscience
de soi, qu’ils savent innover et se transmettent des techniques
de chasse ou des façons de s’alimenter (ce que
l’on nomme “cultures animales”). Enfin, en trente ans
d’expérience d’enseignements du langage à des gorilles,
des chimpanzés ou des bonobos, il est apparu que la
frontière linguistique et symbolique entre les animaux et
les hommes était moins nette qu’il n’y paraissait. »