⬥ Les Essais, rédigés en français, et non en latin, constituent une œuvre unique en son genre : ils se présentent comme une succession de chapitres rédigés sans ordre systématique, mais au gré de la réflexion personnelle de leur auteur.
⬥ Le but est pour lui de « se peindre » lui-même, mais il serait vain de vouloir tracer un portrait stable et définitif : il n’y a pas d’unité figée de la personne, le sujet est la somme de divers « moi », existant diversement selon les moments du temps. L’écriture des Essais se veut conforme à cette idée. L’œuvre est émaillée d’un nombre considérable de citations, mais ne s’assimile jamais à une simple compilation : si Montaigne partage l’idéal humaniste d’une connaissance des auteurs anciens, il fait preuve de défiance à l’égard de tout savoir imposé par autorité. L’histoire montre que la raison humaine a pu se tromper : il faut donc rester prudent et se tenir prêt à réviser ses positions et ses certitudes (II, 12).
⬥ Montaigne développe donc une méthode pyrrhonienne (sceptique) : il y a une inconstance fondamentale des hommes dans leurs convictions, leurs principes d’action, leurs connaissances, mais cette inconstance est une invitation à pratiquer le jugement, à examiner de manière critique l’expérience, l’histoire et les œuvres des auteurs antérieurs. Ainsi, Montaigne refuse de se définir comme sceptique, stoïcien ou épicurien, mais peut être tout cela tour à tour. C’est à travers ce jugement critique qui ne se cantonne jamais à une position figée que se dessine le caractère éminemment personnel de l’œuvre.
⬥ Ce scepticisme se double d’un relativisme : l’expérience nous enseigne l’extrême diversité des mœurs et des coutumes. Or, la confrontation aux autres cultures doit nous conduire à relativiser nos jugements, et comprendre que ce qui peut nous paraître étrange, voire barbare, trouve son sens dans le contexte qui est le sien.
⬥ Il convient donc, contrairement à une certaine tendance philosophique, de ne pas universaliser la raison, la vérité ou la justice, mais il reste possible de comparer, examiner et juger ce qui est relatif. Ainsi, Montaigne dénonce les massacres commis par les Européens dans le Nouveau Monde. L’exercice du jugement ne consiste pas dans l’application de normes absolues et universelles, mais dans la capacité à ne pas rester prisonnier de la coutume : le jugement personnel consiste dans cette pratique constamment répétée d’évaluation des opinions. Cette incertitude concerne également les croyances et débouche, sur le plan pratique, sur une certaine tolérance ; par exemple, Montaigne condamne la persécution des sorcières. La vérité ne se possède pas, mais le sujet doit constamment « s’essayer », c’est‑à‑dire éprouver, au contact de l’histoire et de l’altérité, ce qu’il prend pour des évidences et des certitudes.